Paul Éluard (1895 - 1952), poète français, est l'une des figures majeures du surréalisme.
Il aspira à rénover les techniques du langage tout en cherchant un moyen d'accéder à l'inconscient.
Poète de la Résistance sous l'Occupation, il devint le symbole d'un idéal de liberté et de fraternité.
Le disciple surréaliste:
Paul Eugène Grindel, dit Paul Éluard, voit le jour à Saint-Denis, dans la banlieue parisienne.
Obligé d'interrompre ses études pour rétablir une santé gravement menacée par la tuberculose (1912), il est néanmoins mobilisé en 1914, au tout début de la Première Guerre mondiale : il devient alors infirmier militaire. Si les premiers poèmes d'Éluard sont encore influencés par la littérature de Jules Romains, ils révèlent surtout les sentiments d'horreur et de pitié qu'ont pu inspirer à un poète désormais en quête de pacifisme les spectacles quotidiens de la guerre (le Devoir et l'Inquiétude, 1917); Poèmes pour la paix, 1918).
En 1919, il s'engage sans réserve dans les activités du groupe surréaliste et sur la voie de l'expérimentation littéraire.
Comme la plupart des autres écrivains surréalistes, Éluard montre un intérêt très vif pour les arts plastiques, notamment la photographie et la peinture; ses recueils sont d'ailleurs souvent illustrés par des artistes appartenant à la "constellation surréaliste", auxquels il consacre, en retour, des poèmes (À Pablo Picasso, 1944) ou des essais.
Son adhésion au groupe ne l'empêche cependant jamais d'affirmer son goût et son respect pour la poésie du passé - à laquelle il dédie plusieurs anthologies (Première Anthologie vivante de la poésie du passé, 1951) -, ni de défendre son esthétique propre, marquée par une grande clarté et une grande simplicité d'expression,mais aussi par un classicisme - parfaitement assumé - sur le plan formel.
Très vite, Éluard s'impose au sein du groupe comme le poète de l'amour et des émotions.
Sa relation tourmentée avec Gala, une jeune Russe rencontrée en 1913 dans un sanatorium suisse et qu'il épouse en 1916, lui inspire le recueil Capitale de la douleur (1926).
Gala le quittera pour Salvador Dalí en 1930. C'est au cours d'un voyage autour du monde qu'il fait la rencontre de Maria Benz, dite Nusch, qui devient sa nouvelle épouse et sa muse : elle lui inspire certains de ses plus beaux poèmes d'amour (l'Amour, la poésie, 1929 ; la Vie immédiate, 1932).
La mort brutale de Nusch, en 1946, le plonge de nouveau dans le désespoir (Le temps déborde, 1947), puis il se remarie en 1949 avec Dominique (Odette Lemort, 1914 - 2000), saluant cette renaissance dans son recueil le Phénix (1951).
Pour Éluard, le poème d'amour n'est ni un exercice de style ni un simple hommage amoureux; il est une célébration du rôle intercesseur de la Femme, cet être qui constitue pour le poète un lien entre le monde et l'univers poétique : son inspiratrice.
Les femmes muses et les espoirs idéologiques constituent les deux engagements existentiels et poétiques de Paul Éluard.
Le poète résistant:
Entré au Parti communiste en 1926, avec la plupart des surréalistes, Paul Éluard en est exclu en 1933.
Il n'en continue pas moins de militer pour une poésie sociale et accessible à tous (les Yeux fertiles, 1936; Cours naturel ,1938; Donner à voir, essai,1939).
Poète résolument engagé, il prend ses distances avec le surréalisme, rompt avec le mouvement en 1938, pour revenir définitivement dans les rangs du Parti communiste en 1942.
Choqué par le massacre de Guernica en 1937, il prend position en faveur de l'Espagne républicaine ("la Victoire de Guernica", Cours naturel, 1938), puis s'engage dans la Résistance.
Membre d'un réseau clandestin, animateur du Comité national des écrivains (CNE), il fait de la poésie l'instrument d'un combat contre la barbarie en publiant plusieurs ouvrages dans la clandestinité.
Tout d'abord Poésie et Vérité (1942), qui comprend le célèbre poème "Liberté", largué par les avions de la RAF en milliers de tracts sur la France occupée.
On peut aussi citer les Sept Poèmes d'amour en guerre (1943) et Au rendez-vous allemand (1944).
Après la guerre, il poursuit dans la voie de la poésie politique procommuniste (Poèmes politiques, 1948).
Dans ces écrits politiques, comme dans les autres recueils poétiques de cette période (Poésie ininterrompue I, 1946; Corps mémorable, 1947; Poésie ininterrompue II, posthume, 1953), Éluard continue à utiliser une écriture tout à la fois simple et empreinte d'éblouissantes métaphores ("La terre est bleue comme une orange") et à revendiquer une philosophie où se marient humanisme et aspirations révolutionnaires.
Regard sur son oeuvre:
À la fin de sa vie, Eluard concevra deux longs poèmes, inséparables, qu'il intitulera Poésie ininterrompue.
Mais toute sa traversée de la terre aura été un long murmure de poésie ininterrompue, une réponse poétique aux événements de l'histoire, de son destin et de son temps.
Les événements fondamentaux qui feront jaillir la source poétique en Paul-Eugène, et du jeune Grindel feront surgir Eluard, c'est d'abord, et ce sera jusqu'au bout, la guerre.
Le jeune Eluard a lié des amitiés parmi les réfractaires anarchistes et pacifistes, il a une grande admiration pour des poètes « sociaux » comme Whitman, le groupe des unanimistes, André Spire ...
Mais ce sera l'expérience vécue de la guerre et du front qui va déclencher en lui un étonnement sans terme, une indignation de voix blanche, et cette douceur inextinguible de la stupeur indignée.
Mais cette description de La Vie immédiate de Paul Eluard, sans être inexacte, ne serait pas vraie du tout.
Les catastrophes de son temps, les soubresauts de l'histoire auront pour Eluard un caractère aussi immédiat que les accidents ou les clartés de son destin individuel.
Il a raconté lui-même que le poème qui devait le rendre célèbre au-delà des cercles d'amateurs de poésie, Liberté, écrit en 1941, fut d'abord, dans la première nébuleuse d'où émergeaient les mots, un poème d'amour ; qu'il s'intitulait primitivement Une seule pensée, que cette pensée était, à sa naissance, celle de la femme qu'il aimait ; et que c'est seulement au fur et à mesure que la litanie amoureuse s'élargissait que le poète prit conscience que son poème ne concernait pas seulement un homme écrivant le nom de son aimée, mais tous les hommes du monde, alors en proie à la servitude, écrivant le nom de l'amour qui les résume toutes : celui de la liberté.
C'est qu'Eluard a eu des idées générales sur la condition des hommes, a beaucoup réfléchi sur le travail du poète, sur l'histoire de la poésie (dans ses essais, Avenir de la poésie, 1937 ; Donner à voir, 1939, comme dans ses importantes anthologies), sur la politique (dans de nombreux articles et discours), sur la philosophie. Mais on peut dire de lui qu'il n'a jamais eu d'opinions, au sens où on a une opinion comme on a une maison, un stylo, ou une automobile. Ce poète qui se voulut, avec une obstination à la fois admissible et parfois mal récompensée, un militant, un agitateur politique, n'a jamais parlé que de ce qui le concernait profondément. Il souhaitait réhabiliter la « poésie de circonstance », et il l'illustra de quelques chefs-d'œuvre. Mais c'est que, dans son cas au moins, la circonstance historique n'a jamais eu une autre dimension ni ne s'est accomplie dans un autre espace que celui du dedans.
Eluard le voyant-transparent peut être, doit devenir aussi Eluard le violent, le rebelle. Il projette, face à cette société qu'il veut contribuer à ruiner, l'image d'une contre-société qui n'est pas simplement une « vue de l'esprit » dans la mesure où il a l'expérience immédiate d'une autre façon d'être, d'un autre pacte des vivants avec les vivants, d'un autre état de vie. À travers le dadaïsme, le surréalisme, le stalinisme, c'est la même démarche obstinée, démentie souvent, mais jamais réfutée. « Si nous le voulions, il n'y aurait que des merveilles. » Quand Eluard célébrera Joseph Staline, à l'occasion de l'anniversaire de celui-ci, il n'écrira pas un de ces innombrables et sinistres péans flagorneurs qui s'élèveront de la Russie écrasée et de la bouche des dupes ou des complices occidentaux ; il écrira un très beau poème qui ne fait pas le portrait d'un homme historique, mais d'une terre promise et donnée. Un poème qui n'est tragique que par l'écart entre la vision et ce que notre regard découvre.
Quand on suit la longue respiration ininterrompue de la poésie d'Eluard, il semble au contraire qu'on ne puisse séparer le poète « amoureux » du poète « pour tous », comme il disait. Ce n'est pas malgré sa ressource inépuisable de révolte, sa perpétuelle revendication « utopique » qu'Eluard a été un grand poète, le poète, aussi, de ce rapport modèle entre les êtres, de cette relation étalon : l'amour. Ce n'est pas au détriment de sa vision la plus radieuse des ressources de l'esprit humain qu'il aura manié les rames de l'indignation, de la dénonciation.
Si le poète de L'Amour, la poésie (1929) et du Phénix (1951) n'a jamais laissé tarir son ruissellement de mots limpides, c'est aussi, c'est d'abord grâce à sa ressource de stupeur, de colère et de rage très raisonnable. On pressent ce qui aurait pu gâter cette œuvre, en effet, si elle n'avait pas été soutenue et transportée par l'inapaisable violence d'un perpétuel « jeune homme en colère ». Il lui arrive d'effleurer la mièvrerie, de côtoyer la puérilité et de risquer de tomber de l'innocence authentique dans l'imagerie d'Épinal de la naïveté. Mais si Eluard évite la plupart du temps ces périls, c'est parce qu'il est en même temps le témoin de la grâce d'exister et un démolisseur de ruines, un ange expérimental et un archange combattant et furieux.