Aussi parisien que Baudelaire et, la plupart du temps, aussi désargenté, mais moins pathétique et pas du tout dandy ; aussi difficile que Mallarmé quant à l'utilisation du vocabulaire, aussi convaincu de la supériorité de la poésie, toutefois moins ambitieux de pensée, mais plus communicatif, plus attiré par le tumulte des sentiments, que l'auteur du Coup de dés jugeait indiscrets ; aussi déchiré, aussi vagabond que Verlaine, mais moins dissolu, Léon-Paul Fargue est de la même race que ses trois grands devanciers et doit être placé sur le même rang.
Du premier, il tenait le goût des marches solitaires dans les plis sinueux des vieilles capitales.
Comme Mallarmé, il partait de ce principe qu'il faut « parler autrement que les journaux » et entendait se présenter, dans le moindre texte, lavé de toute banalité. Enfin, semblable en cela à Verlaine, qu'il connut également, il était sensible à « l'inflexion des voix chères qui se sont tues » et se demandait souvent ce qu'il avait fait de sa jeunesse.
Léon-Paul Fargue est né le 4 mars 1876 à Paris.
Après des études secondaires brillantes au lycée Rollin, où il a des professeurs prestigieux, parmi lesquels Mallarmé, Émile Faguet et Valentin Parisot, il entre au même moment qu'Alfred Jarry en khâgne au lycée Henri-IV, où il suit les cours de Bergson.
Il déçoit les attentes de sa famille, qui le voulait normalien, pour choisir l'oisiveté : sensible à la peinture et au piano, il est passionné par la poésie.
Il s'introduit rapidement dans les salons littéraires, notamment, grâce à Henri de Régnier, aux « mardis » de Mallarmé, où il rencontre l'élite intellectuelle et artistique du début du siècle, Paul Valéry, Marcel Schwob, Paul Claudel, Claude Debussy, André Gide.
D'une mémoire prodigieuse et d'une vivacité d'esprit exceptionnelle, il fut partout remarqué.
Il est membre de la Société des Apaches et se lie d'amitié avec Maurice Ravel, qui met plus tard en musique son poème Rêves (1929).
Il fonde avec Larbaud et Valéry la revue Commerce.
Après quelques poèmes publiés en 1894, il donne Tancrède en 1895 (incipit : « Il était plusieurs fois un jeune homme si beau que les femmes voulaient expressément qu'il écrivît. »), puis Poèmes en 1912 et Pour la musique en 1914.
Fargue s'exprime le plus souvent en vers libres, voire en prose, dans un langage plein de tendresse et de tristesse, sur des sujets simples, parfois cocasses (on l'a parfois comparé au photographe Robert Doisneau), plus rarement absolument onirique (voir Vulturne en 1928 cependant).
Léon-Paul Fargue adopte la prose concise ou le vers libre pour dire avec une simplicité émouvante et un lyrisme contenu sa tristesse désabusée.
Dans une langue riche d'images insolites et de trouvailles, il privilégie les motifs les plus simples.
Parisien amoureux de sa ville (D'après Paris, 1932 ; Le Piéton de Paris, 1939), il écrit aussi la solitude oppressante et noyée de nuit et d'alcool (Haute solitude, 1941).
Il est également un chroniqueur étincelant de la société parisienne (Refuges, Déjeuners de soleil, 1942, ou encore La lanterne magique 1944).
Il est frappé d'hémiplégie en 1943 et meurt en 1947 à Montparnasse, au domicile de sa femme, le peintre Chériane, sans avoir cessé d'écrire cependant.
Il était devenu membre de l'Académie Mallarmé en 1937.