Contemporain des surréalistes, Henri Michaux a cherché comme eux dans la poésie et dans l'art une aventure spirituelle comparable à certains égards à l'expérience mystique. Mais il se distingue nettement d'eux par le climat angoissé de son univers intérieur, par son esprit critique, sa curiosité intellectuelle, son refus de toute agitation tapageuse et de tout engagement idéologique. Il donne l'exemple de la plus grande liberté d'esprit dont un homme soit capable. Tenté, au début, de refuser la réalité pour s'évader dans l'imaginaire, il a finalement entrepris d'explorer le plus complètement possible, en tentant sur lui-même des expériences d'un caractère presque médical, le domaine mental de l'homme.
Qu'il s'agisse d'exprimer ses sentiments d'angoisse et de révolte, de raconter ses rêves, d'imaginer des histoires fantastiques, ou de rendre compte d'expériences psychologiques, Michaux le fait dans un style immédiatement reconnaissable et inimitable, sec, nerveux, haletant, saccadé, vibrant, qui traduit à la fois l'émotion et l'humour. Longtemps desservi par son originalité même, il est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands écrivains français. Il fut aussi un remarquable peintre, un des initiateurs du « tachisme » en France. L'évolution de son œuvre graphique, depuis les figures monstrueuses du début jusqu'aux signes, aux taches et aux dessins « mescaliniens », sans être absolument liée à celle de son œuvre littéraire, va dans le même sens : de l'angoisse paralysante à l'ivresse de la découverte.
Son expérience poétique est inséparable de la seule certitude possible, celle de la négativité du monde.
La crise de l'identité, la volonté du clinicien d'analyser l'être, l'attrait du voyage réel ou imaginaire marquent ses premiers recueils (Qui je fus, 1927 ; Mes propriétés, 1929 ; Un barbare en Asie, 1933 ; Voyage en Grande Garabagne, 1936 ; Plume, 1938). Mais deux autres formes de voyage se présentent : la peinture, qui lui donne la liberté et un moyen d'échapper aux mots (Meidosems, 1948), et la drogue, qui lui permet une plongée dans l'espace du dedans (Misérable Miracle, 1956 ; l'Infini turbulent, 1957 ; Connaissance par les gouffres, 1961) et à plus long terme un peu de paix (le Jardin exalté, 1983). Les dernières œuvres prolongent l'exploration singulière du poète et du peintre (Par la voie des rythmes, 1974 ; Idéogrammes en Chine, 1975 ; Poteaux d'angle, 1981).
Après avoir dit qu'il détestait la peinture et qu'il cesserait d'écrire, voyageur assidu, aussi bien de pérégrinations géographiques que d'explorations imaginaires, il fut l'un des rares artistes à établir scientifiquement la carte des drogues, mescaline dans les mots et dans les traits.
De la révolte à l'aventure:
Poète et peintre, Henri Michaux n'a quitté définitivement sa Belgique natale qu'à vingt-cinq ans et n'a été naturalisé français qu'à cinquante-cinq ans.
Il est né le 24 mai 1899 à Namur dans une famille bourgeoise ardennaise et wallonne.
Enfant et adolescent maladif, rêveur, révolté contre son milieu familial, il « boude la vie », existe « en marge », s'évade dans la lecture. Il découvre les mystiques.
À vingt ans, refusant toute intégration sociale, il renonce à poursuivre ses études de médecine et s'embarque comme simple matelot. Au bout d'un an d'aventures maritimes, il revient à Bruxelles.
Il semble être définitivement un « raté ».
La lecture de Lautréamont lui révèle sa vocation d'écrivain.
Il débute par des essais et des textes poétiques en prose où l'imagination cocasse et le style percutant révèlent déjà sa profonde originalité.
Venu à Paris, il se lie avec Jean Paulhan, qui est le premier à comprendre et à apprécier son génie. Son premier livre, Qui je fus (1927), passe à peu près inaperçu.
Un voyage en Amérique du Sud lui inspire Ecuador (1929) ; quelques années plus tard, il rapporte d'un grand voyage en Inde et en Chine un autre journal de bord, Un barbare en Asie (1932).
Entre-temps, il a écrit ses premiers chefs-d'œuvre : Mes Propriétés (1929) et Un certain Plume (1930, repris sous le titre de Plume en 1938), nom d'un personnage falot, éternelle victime des hommes et des événements, qui incarne l'angoisse de vivre.
En 1935, il publie La Nuit remue sans doute son premier grand recueil.
Le titre, comme souvent dans l'oeuvre de Michaux, est déjà tout un programme : qu'est-ce à dire ? La Nuit remue évoque cette étape éphémère, cette frontière fragile entre sommeil et veille, entre néant et existence mais aussi cette frontière fragile et mouvante entre la paix sereine des certitudes diurnes et l'angoisse des cauchemars nocturnes. Tel un funambule, Michaux se promène sur ce fil étroit du réel et du rêvé, du clair et du sombre, de l"angoissant et du rassurant et pour cela, il renouvelle sans cesse les rythmes et les formes et fascine ses lecteurs comme sous l'effet d'une magie.
Dans les années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, l'inspiration de Michaux s'approfondit.
Il commence la description de ses pays imaginaires et il fixe les images du Lointain intérieur (1938).
En même temps, il se consacre de plus en plus au dessin et à la peinture et commence à exposer des aquarelles et des gouaches aussi étranges, pour le grand public, que ses poèmes.
La publication, en 1941, d'une conférence de Gide, Découvrons Henri Michaux, marque le début de la notoriété.
Mais c'est seulement après 1955, au moment où il entreprend d'expérimenter sur lui-même les effets des drogues hallucinogènes, notamment de la mescaline, qu'il obtient la consécration définitive.
Cependant, fidèle à sa vocation de poète réfractaire, jaloux de son autonomie, soucieux d'échapper à toutes les aliénations, même celle de la gloire, il refuse, en 1965, le grand prix national des lettres.
L'espace du dedans:
Michaux se désintéresse de ce qui est extérieur : paysages, objets, réalités économiques, relations sociales, devenir historique.
Son regard plonge à l'intérieur de lui-même, dans ce domaine incirconscrit et obscur où naissent les pensées, les rêves, les images, les impressions fugitives, les pulsions. Aucun écrivain peut-être n'a jamais porté une telle attention aux mouvements les plus ténus de la vie intérieure.
Il dit de l'art de Paul Klee, avec qui il a d'incontestables affinités, qu'il nous communique le sentiment d'être « avec l'âme même d'une chrysalide ».
Sa faculté maîtresse est l'imagination, mais une forme d'imagination qui refuse le pittoresque et la narration. Ce domaine de l'imaginaire, c'est ce qu'il appelle ses « propriétés ».
Il est à la fois tout entier enclos dans son esprit et à la mesure de l'universel, puisqu'il est riche de « millions de possibles ». Ce que Michaux invente, ce n'est jamais une action, une intrigue (il n'est pas un conteur, même dans Plume), mais des êtres et surtout des manières d'être.
Au pays de la Magie ou dans celui des Meidosems (êtres filiformes et évanescents), il fait l'inventaire de nouvelles manières de vivre, d'aimer, de souffrir, de mourir.
En 1948, quand Henri Michaux publie Meidosems, il a quarante-neuf ans. C'est son premier livre de peintre, ce sont aussi ses premières lithographies et les seules réalisées directement à même la pierre. Meidosems a une importance capitale dans l'œuvre de Michaux par l'osmose qui s'établit entre le texte et les lithographies, dans une face à face où l'intégralité des deux formes d'expression est toutefois conservée. Ce livre, correspondant à un moment dramatique de sa vie, donne à lire et à voir ces " meidosems ", êtres insaisissables en perpétuelle métamorphose, qui peuplent le monde intérieur du poète.
L'imagination est source de trouble et d'angoisse, puisque c'est elle qui provoque les images obsédantes, sécrète les monstres, doue les objets et les êtres d'un pouvoir d'agression, fait du monde une perpétuelle menace pour le corps et la conscience de l'individu, également fragiles.
Une grande partie de l'œuvre de Michaux exprime la terreur d'être envahi par « les puissances environnantes du monde hostile ».
Mais l'imagination, qui est une force de destruction du moi, est en même temps un instrument de défense et une force de restructuration.
Toute une autre partie de l'œuvre de Michaux montre les divers procédés d'« intervention » qui permettent au rêveur (endormi ou éveillé) de prendre sa revanche sur la réalité hostile, de corriger ou de compléter le monde dans le sens de ses plus secrets désirs.
Dans cette perspective, la poésie et la peinture sont moins des moyens d'expression que des exorcismes.
La recherche de l'absolu:
Michaux écrivait déjà dans son premier livre : « Je ne peux pas me reposer, ma vie est une insomnie [...]. Ne serait-ce pas la prudence qui me tient éveillé, car cherchant, cherchant et cherchant, c'est dans tout indifféremment que j'ai chance de trouver ce que je cherche puisque ce que je cherche je ne le sais. » Son entreprise consiste donc à tenter d'atteindre quelque chose qui se dérobe sans cesse et à quoi il ne lui est pas possible de renoncer sans que sa vie perde toute signification. Cette ferveur perpétuellement frustrée, ce « désir qui aboie dans le noir », les mouvements de ce « cerf-volant qui ne peut couper sa corde » définissent la situation spirituelle de l'homme contemporain, à qui sa pensée analytique et sa culture désacralisée ne permettent plus de « participer à l'Être ».
L'activité littéraire et artistique de Michaux, comme d'ailleurs toutes ses autres activités, est une « entreprise de salut ».
Dans sa jeunesse, la solution de la mystique chrétienne l'avait attiré. Plus tard, il a découvert la pensée de l'Inde et celle de la Chine, qui lui offrent des modèles et des techniques de méditation plus efficaces.
Mais c'est finalement dans la poésie et dans l'art qu'il trouve la voie d'une réconciliation avec le monde et la vie.
Il ne s'agit pas de trouver des solutions ou des réponses, mais de s'éveiller à la vraie vie, d'accéder au sens véritable du monde, qui est son mystère et son inépuisable nouveauté.
Il faut retrouver l'esprit d'enfance : elle est l'« âge d'or des questions et c'est de réponses que l'homme meurt ».
C'est encore à propos de Paul Klee que Michaux explique à quelles conditions l'art et la poésie permettent de dépasser la muraille de signes qui nous sépare du réel : « Il suffit d'avoir gardé la conscience de vivre dans un monde d'énigmes, auquel c'est en énigmes aussi qu'il convient le mieux de répondre. »
L'expérience de l'infini:
Michaux avait jadis été tenté de recourir à la drogue (notamment l'éther) comme à un moyen de s'évader, de se retirer du monde, de vivre de l'autre côté.
Plus tard, ce n'est plus l'évasion qu'il recherche, mais l'expérience.
Il ne s'agit pas pour lui d'échapper à la condition humaine, mais d'en explorer toutes les possibilités.
La drogue, qui donne des hallucinations et permet d'accéder à l'état second, est l'une des voies de l'aventure mentale dans laquelle le poète s'est engagé et qui consiste à « se parcourir », à faire l'« occupation progressive » de tout son être en exploitant toutes ses facultés.
À partir de 1955, une partie de l'œuvre de Michaux va être consacrée à l'exploration de l'univers prodigieux que lui a révélé l'usage de drogues comme l'opium, le haschich, le L.S.D. et surtout la mescaline.
Il montre que le drogué fait l'expérience de l'infini, mais aussi qu'il existe deux catégories, deux modalités de l'infini, dont l'une est le mal absolu et l'autre le bien absolu.
Les titres des ouvrages qui décrivent les effets de la drogue : Misérable Miracle (1956), L'Infini turbulent (1957), Paix dans les brisements (1959), Connaissance par les gouffres (1961), rendent compte du caractère essentiel de l'hallucination par le haschich ou de l'ivresse mescalinienne, qui est l'aliénation.
Le drogué, comme le fou, est délogé de ses positions, chassé de lui-même, pris dans un « mécanisme d'infinité ».
Avec la perception juste de son corps, il a « perdu sa demeure ».
Il ne retrouve plus le « château de son être ».
L'expérience de la folie mescalinienne enseigne à la fois que l'infini est l'ennemi de l'homme et que, pourtant, l'homme est vulnérable à l'infini, qu'il y est « poreux », parce que « ça lui rappelle quelque chose » et qu'il en vient.
La finitude est conquise sur l'infini et la vie humaine normale est « une oasis », « une hernie de l'infini ».
Il existe pourtant une autre forme de l'infini, dont Michaux a fait parfois, d'une manière inattendue, l'expérience bouleversante : un infini non plus de désorganisation et de turbulence, mais de complétude, de transcendance, l'unité retrouvée.
C'est l'extase, semblable à celle des mystiques, par laquelle il se sent « remis dans la circulation générale », « rentré au bercail de l'universel » et qui lui donne enfin accès à une « démesure qui est la vraie mesure de l'homme, de l'homme insoupçonné ».
Humour et poésie:
L'originalité de l'art de Michaux, dans ses ouvrages littéraires comme dans ses peintures, tient à la fusion de deux éléments en apparence contradictoires, l'émotion et l'humour.
D'un bout à l'autre de son œuvre, il n'y a guère de phrase ou de trait qui n'exprime l'émotion la plus intense.
Souffrance, terreur, ou au contraire ferveur, l'émotion se traduit par des images fulgurantes, des cris, des rythmes haletants, des répétitions.
Mais l'émotion apparaît rarement à l'état brut, et Michaux, en règle générale, ne la prend pas entièrement au sérieux. Il y a chez lui un refus d'être dupe, un besoin d'observer et de comprendre qui établissent une distance entre lui et ses propres sentiments. Placé dans une situation difficile, il utilise l'humour comme un moyen de prendre du recul et de se protéger. Il ne s'agit pas de rire ou de faire rire, mais de neutraliser l'émotion, soit par un détail ou un tour saugrenu, soit par un flegme apparent. L'exemple d'humour le plus connu et le plus caractéristique de Michaux, c'est le personnage de Plume, à qui il arrive toutes sortes de mésaventures surprenantes sans que cela modifie jamais sa résignation attristée et sans qu'il ose intervenir pour détourner le cours du destin.
Que ce soit dans les récits de voyages réels ou imaginaires, dans les rêves de « vie plastique », où il invente la « mitrailleuse à gifles » ou la « fronde à hommes », dans les réflexions et les aphorismes sur les sujets les plus divers, le ton de Michaux unit presque toujours la gravité et la fantaisie, la tension et la désinvolture.
De toute manière, écrire (ou peindre) n'est jamais pour lui un acte gratuit ou un divertissement, mais une sorte d'épreuve ascétique : « Écrire, écrire : tuer, quoi. » Il crée, dit-il encore, « pour questionner, pour ausculter, pour approcher le problème d'être ». En cela, il incarne la tentation la plus forte de l'art contemporain et se rattache à la tradition des poètes voleurs de feu. Il est l'un de ceux qui ont le mieux pressenti ce que pourrait être une nouvelle culture, intégrant à la pensée occidentale des éléments empruntés à l'Orient, et une nouvelle mesure de l'homme, plus vaste que la nôtre.
Sagesse et contemplation:
Un dernier massif est venu, dans la vieillesse, compléter l'œuvre. Tout ce qui précédait se trouve repris et dépassé sur chacun des deux versants, dont l'un est tourné vers la sagesse, l'autre vers la contemplation.
On trouvait déjà, çà et là, dans les ouvrages de l'âge mûr, des aphorismes, qui étaient d'un moraliste. Poteaux d'angle (1981) est un recueil de préceptes que le poète s'adresse à lui-même ; et la sagesse qu'ils contiennent se situe au-delà de toute sagesse. Michaux se défend d'être un « gourou » : « Quoi qu'il arrive, ne te laisse jamais aller – faute suprême – à te croire maître, même pas un maître à mal penser. Il te reste beaucoup à faire, énormément, presque tout. La mort cueillera un fruit encore vert. »
Comment le poète réfractaire pourrait-il enseigner autre chose que la liberté ? Les principes de sa morale sont l'authenticité et l'autonomie : être soi, être à soi. Mais cela conduirait au blocage du moi si cette sagesse n'était pas aussi un mouvement d'ouverture au monde et d'élan vers l'inconnu. Comment conserver quelque chose du prodigieux foisonnement des possibles, sinon en gardant une totale disponibilité ? « Si tu ne t'es pas épaissi, si tu ne te crois pas devenu important..., alors peut-être l'Immense toujours là, le virtuel Infini se répandra de lui-même. »
Dans Face à ce qui se dérobe (1975), Michaux décrivait la « survenue de la contemplation ». Elle ne peut naître que dans le silence. « Une fois repoussés les variations et ce qui nourrit les variations : les informations, les communications, le prurit de la communication... on retrouve la Permanence, son rayonnement, l'autre vie, la contre-vie. » Il est significatif que l'un de ses derniers textes soit la suite de poèmes intitulée Jours de Silence (recueillis dans Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions, 1981). Il ne décrit plus la contemplation mais la chante, la célèbre, avec la ferveur retrouvée des mystiques d'Occident et d'Orient.
Parallèlement au poète, parfois en discordance avec lui, le peintre Henri Michaux a connu lui aussi, dans sa vieillesse, l'accomplissement. Il a utilisé de nouvelles techniques pour jeter dans l'espace les lignes, les taches et les signes qui forment ce que Jean Grenier a appelé une « architecture de l'impermanence ».
Le peintre:
Il est particulièrement difficile de « donner à voir », à l'aide des mots, ce que Michaux, contre les mots, invente, de traduire sa vision au moyen d'un langage qu'il a voulu, justement, fuir dans l'image. Et il ne saurait être question de retracer, en quelques lignes, un itinéraire aussi sinueux que le sien, à travers tant de techniques diverses : huile, lavis, gouache, aquarelle, dessin, encre, acrylique. Tout au plus pourra-t-on s'interroger sur la nature de l'expérience plastique, chez Michaux, et indiquer les principales directions dans lesquelles elle s'est engagée.
Michaux nous apprend que, jusqu'en 1925, il « haïssait la peinture, et le fait même de peindre ». C'est qu'il n'y voyait encore qu'une façon de reproduire, de répéter le réel, « l'abominable réalité » ; il n'avait pas encore découvert qu'elle pouvait être, aussi, l'inventaire de l'invisible. Le recours à la peinture procède, chez lui, d'une instinctive méfiance à l'égard de l'énorme machinerie du langage, de ce que sa préexistence à toute démarche créatrice a de cruellement contraignant, pour l'homme des mots. Sans doute les images elles-mêmes tendent-elles à se constituer en système de signes, mais ce système n'est pas aussi strictement codifié, hiérarchisé ; il ne nous emprisonne pas dans un réseau aussi serré d'habitudes, de mécanismes, de structures. Il semble donc plus facile de rejoindre, à travers l'expérience picturale, le primitif et le primordial, d'entrer en contact, avec ce qu'on a « de plus précieux, de plus replié, de plus vrai, de plus sien ».
Si, en passant de la poésie à la peinture, Michaux change de « gare de triage », s'il regarde le monde « par une autre fenêtre », les motivations profondes de la démarche créatrice demeurent les mêmes. Peinture et dessin peuvent être tour à tour – ou à la fois – agression et exorcisme, approche tâtonnante de l'être et tentative de « se parcourir » ; ils partent, eux aussi, du même refus de toute imitation, du même projet de donner forme à l'informe.