Originaire de Narbonne, Pierre Reverdy fait ses études à Toulouse, puis dans sa ville natale.
Il est exempté de service militaire et "monte" à Paris en 1910.
Il se lie d'amitiés avec les artistes et les poètes qui fréquentent Montmartre, où il vit: Juan Gris, Picasso, Braque, Léger, Max Jacob ...
Il s'engage en 1914 dans la guerre et se trouve heureusement réformé, deux ans plus tard.
En 1917, il fonde la revue Nord-Sud, à laquelle collaborent notamment Apollinaire et Max Jacob, mais aussi de plus jeunes, tels Aragon, Breton et Soupault.
Ses réflexions sur l'image poétique ont directement influencé le Surréalisme alors seulement en formation.
On lui doit aussi de perspicaces commentaires sur la peinture cubiste.
En 1926, cet ombrageux visionnaire se retire à Solesmes, qu'il ne quittera plus jusqu'à sa mort.
Mais cette conversion n'affecte en rien la qualité de sa poésie.
Ses poèmes en prose et en vers libres résistent à toute bigoterie et expriment, avec une rare densité, le drame de l'homme aux prises avec le temps et l'écran de ses sensations.
"Chaque poème est ici un fait poétique présenté, au lieu d'être une anectode représentée, écrivait-il de sa propre création.
Cet art est en contact direct avec la vie, qui est sa seule source."
Le titre du recueil dans lequel Reverdy réunit en 1949 les poèmes écrits au long de plus de trente années (1913-1949), Main-d'œuvre, révèle le secret profond du poète et de son originalité.
Voici en effet un poète, au sens authentique et étymologique, d'abord un manouvrier du verbe. N'était-il pas issu d'une lignée d'artisans languedociens, manouvriers de la pierre et du bois dans cette Montagne Noire où nature et solitude se joignent en un accord à la fois pathétique et serein ? Un autre recueil a pour titre Grande Nature (1925). Deux pôles d'une poésie essentielle : le verbe à travailler et à sculpter pour produire un univers de formes symboliquement accordées aux mystères du monde et à ceux de la conscience ; et la nature à contempler dans la solitude, à réinventer dans la contemplation pour authentifier le rêve et consolider l'imaginaire ; en un mot, obsession de l'accord entre l'art et la vie : « L'art pour l'art ; la vie pour la vie, deux points morts. Il faut à chacun l'illusion des buts et des raisons. L'art par et pour la vie, la vie pour et par l'art. »
De la révolte à la nature
Il y eut bien l'âge de la révolte, au temps où le jeune Pierre Reverdy, trop sensible à la pesanteur d'un monde qui est cage et prison, plutôt que nature, tente de se servir de la poésie pour en briser les barreaux. Venu de Narbonne, où il était né, à Paris en 1910, le voici à Montmartre, dans cette rue Ravignan immortalisée par Max Jacob, engagé dans la « merveilleuse aventure » du Bateau-Lavoir. Lorsqu'en 1917 il fonde sa revue Nord-Sud, il précède et annonce le surréalisme qui le consacrera bientôt comme un des siens. C'est le temps de La Guitare endormie (1919). Mais, déjà, Étoiles peintes (1921) et, plus encore, Épaves du ciel (1924) s'éloignent de la révolte pure : Reverdy ne sera pas un nouveau Lautréamont ; la poésie cesse d'être un moyen, elle devient une fin, elle retrouve un objet spirituel, elle démontre sa propre raison d'être, qui est bien de rejoindre la vie – celle des profondeurs – par l'intimité quotidienne avec les secrets de la nature et de sa vérité.
Pour cette fin, il fallait un acte poétique et vital, une conversion de la vie pour que se fonde la juste orientation de la poésie, un acte de double retour à la vérité de la nature et à la vérité de la conscience ; un acte de silence enfin pour fonder la pureté de la parole, et... « il ne faut pas aller trop vite / Crainte de tout casser en faisant trop de bruit » (« Sur la pointe des pieds », Sources du vent, 1947).
En 1926, le poète quitte Paris où il ne sera plus que très brièvement de passage ; il s'installe à Solesme, à l'ombre de la célèbre abbaye bénédictine, un peu comme Max Jacob à Saint-Benoît-sur-Loire ; avec cependant cette différence qu'il n'y a pas eu, semble-t-il, pour Reverdy, de « conversion » au sens religieux du terme, plutôt une conversion poétique.
Conversion à la poésie
Conversion qui est d'abord – il ne faut point se le dissimuler – une fuite. Reverdy ne sera pas un poète du quotidien, encore moins du quotidien urbain, et il fuit aussi la métamorphose du moderne en insolite ; il s'écarte de cette lignée fascinante qui va du Baudelaire des Poèmes en prose à certaines pages « parisiennes » de Lautréamont, à l'Apollinaire de Zone et au Breton de Nadja. S'il fallait lui trouver un frère spirituel, comme lui en marge du surréalisme, mais dans une formulation littéraire radicalement différente, il faudrait plutôt songer à l'un de ses cadets, le Julien Gracq du Rivage des Syrtes et de La Presqu'île, qui pourrait dire, peut-être, lui aussi, comme Reverdy :
L'écho se détache du bois touffu[où tout se confond et sueIl est seuls autant de pierre en pierre sous les ponts c'est ma voix dégagée mon nom une lumière les yeux fermés.
Et ce dégagement de la voix, cette lumière manifestée aux yeux fermés de la contemplation (on songe à une œuvre célèbre d'Odilon Redon qui porte ce titre), c'est l'autre face, la face positive, de la conversion poétique : conquête de la nature dans sa vérité, au-delà de la duperie des apparences, conquête aussi, au même instant, de l'essence de l'âme, au-delà des duperies de son existence. Mais il n'oublie pas que le poète a pour fonction d'être le manouvrier du verbe, et plus précisément de l'image ; et par la justesse, comme il dit, de l'image, au-delà des illusions du rêve et de l'inconscient, ce sera désormais le cheminement scrupuleux d'une insatiable poésie de l'absolu. Tous ces « au-delà », qui figurent l'effort solitaire et contemplatif du poète, Reverdy ne finira jamais de les affronter pour les conquérir, en s'obstinant à une « subordination totale du physique à l'esprit » (Le Gant de crin, 1927).
Et pour que le réel de la nature et de la conscience s'ajuste au lyrisme de l'esprit, il faut bien une « technique », il faut bien mettre en œuvre des moyens verbaux, il faut bien que l'ajustement se fasse dans un poème. Peut-être est-ce dans le secret de son rythme que l'auteur réalise le mieux son approximation poétique de l'absolu, car l'image même, et le symbole, et la suggestion discrète des mythes obsédants, ce qui est pour ainsi dire la chair poétique des mots, tout cela tend à se résoudre dans une parfaite justesse de ce qui est l'âme poétique des mots, le rythme. Il y a chez Reverdy un art de la concentration syllabique qui fait à la fois son hermétisme et son efficacité : « Mon cœur ne bat que par ses ailes... » dit-il ; les « ailes du cœur », ce sont bien ces jeux rythmiques de syllabes qui sous-tendent la suggestion symbolique, qui promettent l'image plus qu'ils ne la donnent, qui réconcilient l'humanité du contemplatif avec la confidence du lyrique. Pour opérer le parfait ajustement de son âme et de son rythme, le poète ne cesse de faire croître en lui la conscience des moyens de son langage propre : la construction d'une poétique ne cesse d'accompagner la création du poème, et Reverdy est un témoin exemplaire de cette réciprocité entre poétique et poésie qui est la source la plus profonde de son originalité.
Poétique et poésie de la pureté, refus de toute ambiguïté, pureté qui vise un absolu métaphysique immanent à la parole poétique même, incessant combat avec l'Ange, mais sans prométhéisme, dans le double secret de la conscience et des rythmes de son verbe, s'il est vrai que « la poésie est à la vie ce que le feu est au bois ». Et la poésie est bien un peu ce « visage qui éclaire et réchauffe les choses dures, qui faisaient partie de la mort ».
Si cette figure de l'absolu est bien, selon le titre d'un poème du Chant des morts (1948), « Outre-mesure », il ne faut point s'y tromper : ce n'est pas que le rythme poétique, non plus que celui de l'âme, doive s'amplifier et se grossir jusqu'à ce que, comme pour le Satyre de Hugo, « l'espace immense entre dans cette forme noire » ; non, c'est au contraire pour que l'acte poétique se condense jusqu'à coïncider avec l'immatériel noyau de l'âme :
Mon cœur qui résonne et qui bat Un écran de feu abat-jour tendre Entre les murs familiers de la nuit Cercle enchanté des fausses solitudes Faisceaux de reflets lumineux.
Regards sur son oeuvre
Le style de Pierre Reverdy participe du renouveau de l'écriture poétique au début du xxe siècle.
Fervent admirateur de Mallarmé et de son fameux « coup de dés », Pierre Reverdy emprunte à Mallarmé sa forme dentelée avec un retour systématique à la ligne sur des vers en biseaux.
Procédant du papier collé, forme empruntée au cubisme auquel il veut très tôt joindre la forme écrite, il cherche par ce moyen à aller au cœur des choses plutôt qu'à leur surface.
Le poème sera ainsi plus une évocation de leur réalité consubstantielle par le biais de ce que les images suggèrent qu'une description ou une narration textuelle.
L'emploi de la comparaison et de la métaphore y est primordial. Comme le dit lui-même le poète, en conformité avec la conception du « stupéfiant image » et de l'analogie par André Breton, il s'agit de rapprocher deux mots au sens éloigné l'un de l'autre pour faire apparaître des liens secrets entre les choses, créer « des rapports inouïs », une sorte de choc visuel sur la page et intellectuel du même coup, ce qui permet de créer ce que Reverdy nomme « le choc poésie ».
Picasso dira ainsi que Reverdy écrivait à ses yeux comme un peintre. Il n'abandonnera jamais cet idéal d'écriture choisi à l'époque cubiste et ce parti pris aura eu une influence décisive sur tous les grands poètes qui le suivront, au premier chef ceux du surréalisme.