L'extraordinaire célébrité de Rimbaud, l'évidente propagation d'un mythe que sa vie et son œuvre semblent avoir favorisé empêchent souvent d'estimer réellement ce qu'il fut.
Provoquant les admirations les plus sincères et les plus opposées (Claudel et les surréalistes), parfois même l'idolâtrie, il a pu donner lieu également à des jugements suspicieux, parmi lesquels, au premier chef, celui d'Etiemble, observateur scrupuleux du mythe, mais détracteur souvent partial du poète.
Arthur Rimbaud écrit ses premiers poèmes à quinze ans et demi.
Ses derniers à 20 ans. Lui, pour qui le poète doit être « voyant » et qui proclame qu'il faut « être absolument moderne », renonce subitement à l’écriture malgré la reconnaissance de ses pairs.
Ses idées marginales, anti-bourgeoises et libertaires le poussent à choisir alors une vie aventureuse dont les pérégrinations l’amènent jusqu’au Yémen et en Éthiopie où il devient négociant, voire explorateur.
De cette seconde vie, ses écritures consistent en près de 180 lettres (correspondance familiale et professionnelle) et quelques descriptions géographiques.
Bien que brève, la densité de son œuvre poétique fait d'Arthur Rimbaud une des figures considérables de la littérature française.
Rimbaud a marqué la littérature autant par sa vie que par son œuvre, qui est à l'origine de la révolution poétique moderne.
Né à Charleville, dans un milieu modeste, le 20 octobre 1854, Arthur Rimbaud, fort tôt, dut constater l'absence de son père, militaire de carrière, qui s'était séparé de sa mère, Vitalie Cuif, une paysanne de Roche, alors qu'il n'avait que six ans.
L'étroit milieu carolomacérien, où Mme Rimbaud fait figure de personnalité revêche et rigoriste, où l'enseignement du collège est dispensé par un personnel mêlé de laïcs et de prêtres, constitue le monde où il doit vivre.
Il découvre alors le superbe antidote de la poésie par le biais d'exercices scolaires tout d'abord, notamment de compositions en vers latins où il excelle par son savoir et son invention : ce seront ses premiers textes publiés, dans le Bulletin de l'académie de Douai.
Les recueils poétiques qu'on lui prête ou qu'il vole, les récents fascicules du Parnasse contemporain lui révèlent bientôt un autre univers.
Théodore de Banville, Gautier, Leconte de Lisle, autant de modèles qu'il admire et saura démarquer avec toute la vivacité de son génie, cependant que Hugo reste encore pour lui un inévitable sommet, dont il rejette l'emphase, mais retient la fantasia verbale.
En 1865, Arthur entre au collège municipal de Charleville, où il se montre brillant élève .
Collectionnant les prix d'excellence en littérature, version, thème... Il rédige en latin avec aisance, des poèmes, des élégies, des dialogues. Mais, il bout intérieurement
En juillet 1869, il participa aux épreuves du Concours académique de composition latine sur le thème « Jugurtha », qu'il remporta facilement. Le principal du collège Jules Desdouets aurait dit de lui : « Rien d'ordinaire ne germe dans cette tête, ce sera le génie du mal ou celui du Bien. »
En obtenant tous les prix dès l’âge de 15 ans, il s'affranchit des humiliations de la petite enfance.
En 1870, alors en classe de rhétorique, le collégien se lie d'amitié avec Georges Izambard, le professeur de rhétorique, son aîné de six ans. Ce dernier lui prête des livres, tel les Misérables de Victor Hugo.
Son professeur encouragea ses essais poétiques, s'étonnant notamment des audaces de syntaxe et de métrique présentes dans ses premiers poèmes (Trois Baisers, la musique, les Réparties de Nina, le Dormeur du val, Au cabaret vert).
L’orientation poétique est alors celle du Parnasse avec la revue collective, Le Parnasse contemporain.
Le 24 mai 1870, Arthur, alors âgé de 15 ans, écrit au chef de file du Parnasse, Théodore de Banville, pour transmettre ses volontés : « devenir Parnassien ou rien » et se faire publier.
Pour cela, il joint trois poèmes : Ophélie, Sensation et Credo in unam. Banville lui répond, mais les poèmes en question ne paraîtront pas dans la revue.
Le collégien de 16 ans vient de rafler les prix les plus prestigieux.
De caractère impulsif, épris d'aventures, Rimbaud fugua à plusieurs reprises, exalté par les événements qui secouèrent les années 1870-1871 (la guerre qui ravageait les Ardennes et bouleversait la vie quotidienne, la défaite contre l'Allemagne, la Commune de Paris).
Au lieu de se présenter au baccalauréat, il tenta de gagner Paris, fut arrêté aussitôt et transféré à la prison de Mazas pour avoir voyagé sans billet.
Izambard le fit libérer et le renvoya à Charleville chez celle qu'il appelait la «mère Rimbe».
Il refusa cependant de retourner à l'école et, au cours d'une nouvelle fugue, fit la connaissance de Paul Verlaine à qui il avait envoyé des poèmes et qui lui avait répondu, dans une lettre de septembre 1871 : «Venez, chère grande âme, on vous appelle, on vous attend».
Les mois suivants sont voués au désœuvrement. Les courses à travers bois et campagne remplacent des études dont il voit mal la nécessité. Cet état de vacances favorise sa création qui tend à une frénésie sombre. Sous ses yeux, le milieu social se réduit à des caricatures : Les Douaniers, Les Assis. Le bon élève tend au voyou. En février 1871, il n'y tient plus et fugue de nouveau à Paris où il vit au petit bonheur une dizaine de jours. Son retour à Charleville le replonge dans sa « cité supérieurement idiote » ; mais il apprend bientôt la proclamation de la Commune. Sa poésie en ressent une accélération offensive. On ne comprendrait pas, sinon, les lettres dites « du voyant » qu'il envoie, l'une le 13 mai, à Izambard, l'autre, le 15 mai, à Demeny. Elles ne peuvent se concevoir, en effet, sans l'urgence ressentie d'un changement, d'une révolution en accord avec celle des « travailleurs » et qui, cette fois, concernerait le langage lui-même, chargé d'accéder à l'inconnu. Ainsi se trouve amplifiée la figure du voyant, déjà connue avant lui (Balzac, Gautier, Hugo, Leconte de Lisle), mais à laquelle on n'avait pas encore accordé une place aussi déterminante.
Rimbaud se rendit aussitôt à Paris, avec, pour tout bagage, quelques poèmes, parmi lesquels le célèbre Bateau ivre. Surnommé le «nourrisson des muses» et accueilli à bras ouverts par la communauté des poètes, et notamment par les symbolistes, il connut d'abord un succès de nouveauté.
Lors du premier dîner des parnassiens, auquel il avait été convié en octobre 1871, Rimbaud fit la lecture du Bateau ivre, fascina et étonna ses interlocuteurs par la précocité de son esprit.
En quelques mois cependant, au Quartier latin, le jeune poète génial passa de mode, avant de devenir la bête noire des gens de lettres.
Lassés de l'orgueil et du mépris affichés par Rimbaud à leur égard et de son manque d'éducation, ces derniers lui refusèrent désormais le gîte et le couvert qu'ils lui avaient d'abord généreusement accordés.
Verlaine seul resta fidèle à Rimbaud et le recueillit alors qu'il dormait dans la rue, mangé par la vermine.
La liaison de Rimbaud avec Paul Verlaine, homme marié et père de famille, devint dès lors de notoriété publique.
En février 1872, Rimbaud, lassé du conflit avec la belle-famille de Verlaine et déçu par le milieu des lettres, mit fin à son séjour parisien ponctué de saouleries et de révoltes, et retourna à Charleville.
Il continua cependant à fréquenter Verlaine, qui abandonna bientôt son épouse et son enfant pour l'accompagner, à partir de juillet 1872, à Londres puis à Bruxelles.
C'est durant ces escapades orageuses que Rimbaud écrivit une partie des Illuminations et de Une saison en enfer. Le coup de pistolet que Verlaine tira sur lui en juillet 1873, lors de l'une de leurs fréquentes disputes, mit définitivement fin à leur liaison mouvementée.
Rimbaud rentra à Charleville chez sa mère, où il écrivit encore quelques textes de la Saison en Enfer, tandis que Verlaine, malgré le retrait de sa plainte, était emprisonné.
Celui qui, selon les mots de Mallarmé, connut une «puberté perverse et superbe» en mettant tous ses espoirs adolescents dans la poésie, abandonna la création en atteignant l'âge adulte, d'une façon si soudaine et si incompréhensible qu'il semblait s'être «opéré vivant de la poésie» (Mallarmé).
Rimbaud se lança alors dans une vie d'aventures et devint «l'homme aux semelles de vent» dont parla Verlaine : il fut tour à tour répétiteur à Londres en 1874, débardeur à Marseille en 1875, mercenaire des Indes néerlandaises puis déserta à Java en 1876.
La suite de la vie de l'ancien « voyant » ne laisse plus de place aux effets de l'art – qu'il semble avoir définitivement abandonnés. Il veut être précepteur, ingénieur ; le commerce et les sciences l'attirent, comme si la modernité se confondait avec ces activités. En mars 1875, à Stuttgart où il étudie la langue allemande, il revoit pour la dernière fois Verlaine venu là tout exprès. C'est au cours de ces retrouvailles qu'auraient été communiqués certains feuillets des Illuminations, à charge pour le « pauvre Lélian » (Verlaine) de les transmettre à Nouveau qui les aurait fait imprimer ! Nous devons nous contenter de ces vagues informations. La même année, vagabondant en Italie avec l'intention d'aller jusqu'à Brindisi et de s'embarquer pour la Grèce, Rimbaud, accueilli à Milan chez une veuve molto civile, éprouve encore le besoin de demander à son ami Ernest Delahaye Une saison en enfer. Dans quel dessein ? On l'ignore. Les années ultérieures seront marquées par de perpétuels déplacements – Vienne, Java, Stockholm, Chypre... – qu'il serait vain de rappeler si l'on ne devait penser qu'ils forment un véritable supplément à son odyssée spirituelle.
Devenu accompagnateur de cirque en 1877, il se fit ensuite contremaître à Chypre (1878).
Enfin, il s'établit comme négociant en Abyssinie, où il mena une vie aussi éprouvante qu'ennuyeuse.
En 1891, une blessure suspecte à la jambe - très certainement cancéreuse - l'obligea à rentrer en civière depuis les monts du Harar jusqu'à la côte de la mer Rouge.
Amputé dès son arrivée à Marseille, il mourut le 10 novembre 1891 des suites de sa maladie, laissant derrière lui une des œuvres les plus originales et les plus riches de la littérature française.
Toute l'œuvre poétique de Rimbaud fut écrite avant sa majorité.
Condamnant tous les poètes antérieurs, à l'exception des Grecs, de Gautier, de Leconte de Lisle, de Banville et surtout de Baudelaire, qu'il appelait le «premier voyant» mais auquel il reprochait néanmoins son manque d'audace formelle, Rimbaud proposait une véritable méthode pour être poète, c'est-à-dire pour être capable de saisir l'essence du réel.
Il s'agissait pour lui de dissoudre les limites trop étroites de sa personnalité, censée appauvrir les perceptions, et en même temps celles de la conscience claire des choses, pour atteindre la vraie lucidité.
C'est ce qu'il exprimait déjà, dès le printemps de 1871, dans la fameuse «Lettre du voyant», adressée à Izambard : «!Je est un autre. Je travaille à me rendre voyant.
Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.» La voyance, cet état qui permet au poète de percevoir une autre réalité, au-delà des apparences, est accessible grâce à un «long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens», méthode poétique qui, en pratique, équivaut à expérimenter toutes les techniques hallucinatoires (alcool, drogue, etc.), mais sans en perdre totalement le contrôle, et à s'opposer systématiquement à toutes les idées reçues dans quelque domaine que ce soit.
Cette méthode, qui condamne le poète à la marginalité sociale et à l'inconfort intellectuel, lui permet d'éviter de tomber dans les ornières habituelles de la pensée!; c'est à ce prix qu'il peut atteindre l'état de voyance et trouver la clé du mystère.
Une saison en enfer, écrit au printemps 1873, est le seul texte publié, à compte d'auteur, par Rimbaud lui-même.
Présenté délibérément sous forme de fragments, ce texte qui tient de la poésie et de l'autobiographie, est nourri par les années passées avec Verlaine.
Au-delà des faits biographiques, Une Saison en Enfer est, sur le plan poétique, un constat d'échec, puisque le poète y renonce, non pas à la poésie comme on a pu le dire, mais à son entreprise du «Voyant».
Avec une tonalité furieuse et amère, l'ouvrage dit la nécessité de revenir au monde réel et d'accepter la matérialité de la condition humaine.
Publiées par Verlaine en 1886, les Illuminations furent probablement écrites entre 1873 et 1875, lors des voyages de Rimbaud en Belgique, en Angleterre et en Allemagne.
Les Illuminations regroupent des poèmes en prose et en vers libres qui, en cristallisant expériences vécues et lectures, sensations et visions, constituent un tableau de l'univers intérieur du poète.
Leur nouveauté provient de l'incohérence volontaire des images, des ruptures de constructions, de l'emploi systématique de figures de style peu usitées jusque-là, telle l'oxymore, enfin de la préférence marquée pour la juxtaposition au détriment de la subordination (voir Rhétorique, figures de).
De fait, les Illuminations, admirées plus tard par les surréalistes, constituent l'un des premiers textes où le signifiant prend le pas sur le signifié, c'est-à-dire où les caractéristiques matérielles des mots (volume, accent, sonorités) l'emportent sur leur sens dans l'élaboration et la création poétique.
Avec ce recueil, Rimbaud inaugure en outre le vers libre, qui libère la forme versifiée des contraintes de la métrique syllabique et lui ouvre de nouvelles perspectives rythmiques.
Arthur Rimbaud a été celui qui, sans cesse, s'est trouvé en instance de partir. On a dit aussi de Rimbaud qu'il était l'homme aux semelles de vent, le voyageur qui, de Charleville à Paris puis d'Aden au Harrar, a toujours voulu aller plus loin. Mais il a aussi rêvé, comme il l'a écrit dans son Alchimie du verbe, à des révolutions de mœurs, à des déplacements de races et de continents, autrement dit à de vastes mouvements moraux et historiques qui pourraient mener les peuples ailleurs: il fallait creuser les secrets qui permettraient de changer la vie. Rarement, d'ailleurs, n'a-t-on vu d'artiste se révoltant avec autant de violence contre l'éternel ordre des choses, contre l'éternel règne des assis.
En poésie, on le sait d'après sa Lettre du Voyant, Rimbaud détestait tous ces amuseurs publics qui n'ont jamais fait que jongler avec les rimes et les hémistiches. Plus ambitieux qu'eux, le poète du Bateau ivre a voulu se faire voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens: c'était là l'expression d'une volonté toujours renouvelée de donner des coups de sonde là où cela ne serait pas familier, là où il pourrait perdre pied pour glisser dans l'inconnu. Il fallait, si on peut dire, ériger le changement en système; et le vertige émanant de poèmes tels Après le déluge ou Vies en fait foi.
Mais si le poète s'est révolté contre le monde tel qu'il est, si ses œuvres ont constamment évoqué l'aube, l'adieu, le départ, le mouvement, toutes choses impliquant une métamorphose (pensons là-dessus à Bottom) ou un déplacement (relisons des poèmes tels Bohème ou Sensation), c'était pour en arriver à quoi? Peut-être, et cela de manière apparemment paradoxale, s'est-il agi de toujours aller ailleurs pour, enfin, aboutir à l'état le plus statique qui soit: la contemplation. En ce sens, ces fusions où le poète se noie dans les paysages qu'il décrit (là-dessus, L'Éternité et Bruxelles sont remarquables) expriment sans doute le plus haut degré de bonheur que Rimbaud ait jamais atteint.