« C'est plus grand que Virgile et ça vaut Goethe », disait Flaubert de l'œuvre de Ronsard.
Précisons qu'il la lisait dans une édition des Œuvres complètes – ce que nos contemporains font rarement –, après s'être aperçu que les anthologies vous privaient du meilleur : « Les plus belles choses en sont absentes.»
Depuis cette époque, rien n'a changé. Ronsard est toujours sous le coup des contre-sélections qui le réduisent aux joliesses qui enchantaient Sainte-Beuve et Théodore de Banville.
Pour découvrir l'émule de Virgile et de Goethe, il faut se faire explorateur. On se trouve alors en présence d'une œuvre extraordinairement complexe et foisonnante, bien faite pour dérouter les goûts néo-classiques et les simplifications scolaires, l'œuvre d'un écrivain de transition à mi-chemin entre la Renaissance et l'âge du baroque.
Né dans une gentilhommière de la campagne vendômoise l'année où le roi François est au comble de la gloire, mais à la veille du désastre de Pavie, Ronsard appartient à la génération des fils de combattants des guerres d'Italie.
Quand son père meurt, il a vingt ans et il suit avec Jean Antoine de Baïf les leçons de grec de Jean Daurat.
C'est aussi l'année de la mort de Clément Marot et de la publication de la Délie de Maurice Scève.
Trois ans plus tard, en 1547 (l'année de la mort de François Ier et de l'avènement de Henri II), il a déjà écrit sa première ode, au collège Coqueret où Joachim du Bellay l'a rejoint.
Il publie le premier livre des Amours, au moment où Henri II venge son père en reprenant Toul et Verdun aux impériaux (1552), et les Hymnes l'année de la paix d'Augsbourg et des mauvais présages des Prophéties de Nostradamus (1555).
Il publie la première édition de ses Œuvres l'année de la mort de Du Bellay et de Scève, au moment de la conjuration d'Amboise et des états généraux d'Orléans (1560). Malgré le déchaînement des guerres civiles, il est, à quarante ans, au comble de la gloire.
Poète officiel de la cour de Charles IX, organisateur et metteur en scène des fêtes, propagandiste de la politique royale, à l'heure où le concile de Trente va s'achever, où Calvin et Michel-Ange viennent de mourir, il se pose en porte-parole de la Contre-Réforme sans toujours bien comprendre ce qu'elle implique ni prévoir les prises de position qu'elle va susciter.
Ronsard est en effet resté un homme de la pré-Réforme, plus proche des humanistes néo-platoniciens du début du siècle que des hommes nouveaux qui préparent les futurs combats entre théologiens jésuites et jansénistes.
Jeunesse:
Né au Château de la Possonnière le 10 septembre 1524, Pierre de Ronsard est le fils cadet de Louis de Ronsard (chevalier qui accompagna les enfants de François Ier lors de leur captivité en Espagne en qualité de maître d’hôtel) et de Jeanne Chaudrier.
Il a étudié au collège de Navarre à Paris en 1533 et devint page auprès du dauphin, François, puis de son frère Charles, duc d’Orléans.
Quand Madeleine de France épousa le roi Jacques V d'Écosse, en 1537, Ronsard fut attaché au service du roi et passa trois années en Grande-Bretagne. En 1539, il retourna en France et entra à l’Écurie royale.
Il est dans la compagnie du duc d’Orléans. Cette fonction lui offrit l’occasion de voyager : il fut envoyé en Flandre puis de nouveau en Écosse.
Bientôt, une fonction plus importante lui fut offerte et il devint le secrétaire de la suite de Lazare de Baïf, le père de son futur collègue de la Pléiade et compagnon à cette occasion, Antoine de Baïf.
Il a été attaché de la même manière à la suite du cardinal du Bellay-Langey et sa querelle mythique avec François Rabelais date de cette époque.
Cette carrière diplomatique prometteuse fut cependant subitement interrompue, une otite chronique qu’aucun médecin ne put guérir le laissa à moitié sourd. Pierre de Ronsard décida alors de se consacrer à l’étude.
Les études et la Pléiade:
Il choisit le Collège de Coqueret dont le principal était Jean Dorat, aussi professeur de grec et helléniste convaincu (qui fera partie de la Pléiade) qu’il connaissait puisqu’il avait été le tuteur de Baïf.
Antoine de Baïf accompagna Ronsard ; Joachim du Bellay, le deuxième des sept, les rejoignit bientôt. Muretus (Marc-Antoine Muret), passionné de latin, qui jouera un rôle important sur la création de la tragédie française, y était aussi étudiant à la même époque.
La période d’étude de Ronsard dura sept années et demie et le premier manifeste de ce nouveau mouvement littéraire prônant l’application des principes de la Pléiade a été écrit par Du Bellay. Défense et illustration de la langue française parut en 1549 : la Pléiade (ou Brigade, comme elle s’appelait à ses débuts) était alors lancée.
Elle comprenait sept écrivains : Ronsard, Du Bellay, Jean-Antoine de Baïf, Rémy Belleau, Pontus de Tyard, Étienne Jodelle Jacques Peletier du Mans et à la mort de ce dernier, Jean Dorat.
Un peu plus tard, Ronsard publia ses premières œuvres en 1550 dans ses quatre premiers recueils Odes.
Oeuvres, polémiques et gloire:
En 1552, le cinquième livre des Odes fut publié en même temps que Les Amours de Cassandre.
Ces recueils déclenchèrent une véritable polémique dans le monde littéraire. Une histoire illustre les rivalités et critiques qui existaient alors : on dit que Mellin de Saint-Gelais, chef de file de l’École marotique, lisait des poèmes de Ronsard de façon burlesque devant le roi afin de le dévaloriser.
Cependant, Marguerite de France, la sœur du roi (plus tard duchesse de Savoie), prit à un moment le recueil des mains de Mellin et se mit à le lire, rendant aux poèmes toute leur splendeur : à la fin de la lecture, la salle était sous le charme et applaudit chaleureusement.
Ronsard était accepté comme poète. Les deux poètes se réconcilièrent, comme l’indique le sonnet de M. de S. G. En faveur de P. de Ronsard.
Sa gloire fut subite et hors mesure. Dès 1554, l’Académie des Jeux floraux de Toulouse le récompensa d'une Églantine pour son « excellence et rare savoir et pour l'honneur et ornement qu'il avait procuré à la poésie française » et l'année suivante, ce prix fut transformé en une Minerve d'argent.
Ronsard remercia le cardinal de Chastillon, archevêque de Toulouse, qui l’avait toujours admiré, en lui adressant l’ Hymme de l’Hercule chrestien. En 1555-1556, il publia ses Hymnes.
Il termina ses Amours en 1556 puis il donna une édition collective de ses œuvres, selon la légende à la demande de Marie Stuart, épouse du roi François II en 1560.
En 1565, ce sont Élégies, mascarades et bergeries qui parurent en même temps que son intéressant Abrégé de l’art poétique français.
En 1563, poète engagé, il publie une Remontrance au peuple de France, puis une Réponse aux injures et calomnies de je ne sais quels prédicants et ministres de Genève, qui l'avaient attaqué pour sa défense du catholicisme.
Le changement rapide de souverains n’altéra pas les traitements auxquels a droit Ronsard. Après Henri et François, c’est Charles IX qui tomba sous son charme.
Il lui mit même des pièces à disposition dans le palais. Ce parrainage royal a eu quelques effets négatifs et l’œuvre demandée par Charles IX, La Franciade, n’égale pas le reste de l’œuvre de Ronsard, le choix fait par le roi (le décasyllabe plutôt que l’alexandrin) étant regrettable.
La mort de Charles IX ne sembla pas avoir changé les faveurs auxquelles il avait droit à la cour royale. Mais Ronsard, ses infirmités augmentant, choisit de passer ses dernières années loin de la cour, alternant ses séjours dans une maison lui appartenant à Vendôme, dans une abbaye à Croix-Val non loin de là ou encore à Paris où il était l’invité de Jean Galland, intellectuel du Collège de Boncourt. Il avait peut-être aussi une maison en propre au Faubourg Saint-Marcel.
Il voyagea en Andalousie pendant trois mois, à Cordoue, où il trouva l’inspiration pour son poème Ode à l’Antiquité.
Les dernières années:
Ses dernières années furent marquées par la perte de nombre de ses amis et son état de santé s’aggrava.
Des souverains étrangers, dont la reine Élisabeth Ière d’Angleterre, lui envoyaient des présents. Malgré la maladie, ses créations littéraires restèrent toujours d’aussi bonne qualité et quelques-uns de ses derniers écrits sont parmi les meilleurs.
Ronsard ne fit pas l’unanimité et on trouve des poèmes contre Ronsard dans la collection de manuscrits rassemblés par François Rasse des Nœux.
Il meurt dans la nuit du 27 au 28 décembre 1585 au prieuré de Saint-Cosme, dont il était le prieur, et y est enseveli dans la crypte de l’église, aujourd’hui en ruine. Ronsard était également titulaire de Croix-Val en Vendomois (paroisse de Ternay) et de Bellozane dans le diocèse de Rouen.
Deux mois plus tard, il reçoit un hommage officiel au collège de Boncourt où ses funérailles solennelles sont célébrées à Paris le 25 février 1586, date anniversaire de la bataille de Pavie.
Toute la cour s’y presse, à telle enseigne que plusieurs dignitaires devront renoncer à y assister, et l’oraison est prononcée par son ami Jacques Du Perron et un Requiem de Jacques Mauduit composé pour l’occasion est exécuté par l’orchestre particulier du roi.
Les mots du bonheur:
Ce que Malherbe et les hommes de sa génération ne parviendront jamais à comprendre, c'est que la poésie puisse être avant tout un message de joie.
L'étude des lettres, avait écrit Ronsard en homme de la Renaissance, dans sa préface de 1550, est « l'heureuse félicité de la vie, sans laquelle on doit désespérer de pouvoir jamais atteindre au comble du parfait contentement ».
C'est au poète qu'il revient de susciter un état de bonheur par les mots. Par les mots, et pas nécessairement par l'évocation du plaisir. La mélancolie amoureuse, la frustration, la hantise de la mort, des forces invisibles et du destin occupent une place beaucoup plus grande, dans les Œuvres complètes, que les galanteries. Les Amours eux-mêmes rendent un son plus riche dès qu'on renonce à y voir une autobiographie anecdotique et, d'ailleurs, bien trompeuse, car comment faire le départ entre l'anecdote, les stéréotypes italiens, la stylisation poétique, les trouvailles du langage ? Les larmes versées sur la mort de Marie sont-elles véritables ou sont-elles des larmes d'emprunt versées pour le compte du roi à l'occasion de la mort de Marie de Clèves ?
Y a-t-il même dans l'idylle avec Marie autre chose qu'un vieux thème de la littérature courtoise médiévale : la jeune paysanne courtisée par un seigneur ? On ne le saura sans doute jamais, et peu importe, car l'émotion ne cesse d'être un état passif que dans la mesure où la médiation du langage l'élève à un timbre de sensibilité sans commune mesure avec ses origines.
Il serait aussi vain de chercher dans les Amours un art d'aimer ou une inspiration érotique, car non seulement les codes ont changé, mais nous ne sommes pas même en mesure d'établir un système de relations précis entre celui que Ronsard nous présente et ceux qui avaient cours dans la vie réelle de ses contemporains.
Ce qu'il nous offre n'est pas une copie du quotidien, mais un univers reconstruit. Avec des éléments empruntés aux thèmes de la tradition courtoise et à la vie d'un gentilhomme français du XVIème siècle