Joachim du Bellay, poète français de la Renaissance, nacquit aux alentours de 1522 à Liré en Anjou,
dans le château de la Turmelière.
Bien pourvu du côté des relations de famille, Joachim ne l'est guère sur le plan personnel.
Issu d'une famille noble (cardinaux, diplomates et gouverneurs en sont des membres éminents),
chétif, orphelin très jeune (avant ses 10 ans), surveillé de loin par un frère plus âgé et indifférent,
il traînera toujours avec lui un poids de frustrations trop lourd pour son hypersensibilité
d'écorché vif et se montrera aussi capable de tendresse que de causticité et d'insolences de timide.
C'est l'une des raisons qui expliquent que le jeune Joachim passe une enfance solitaire et triste dans
le manoir familial, aime la solitude et passe du temps isolé en forêt ou prêt de la Loire, à rêver pendant des heures.
Sa rencontre avec Ronsard:
Du Bellay s'intéresse aux lettres après une courte carrière militaire et rencontre Pierre de Ronsard.
Les deux hommes ont beaucoup de points communs, et d'amis ou de membres de la famille qui se connaissent.
En tout cas, si on ignore encore les circonstances exactes de leur rencontre, on sait que leur lien
d'amitié va durer des années. Ils étudieront ensemble.
Ronsard vise à devenir un grand poète et annonce à Joachim du Bellay qu'il va intégrer le collège
de Coqueret à Paris.
Dans cet établissement, sous l'influence du professeur de grec Jean Dorat,
les deux hommes étudient la poésie italienne, le grec, les auteurs antiques, dont la philosophie s'accorde à la perfection avec celle de François 1er qui souhaite donner des lettres de noblesse au français.
Ronsard et du Bellay, inséparables depuis leur rencontre en 1547, fondent en 1549 un groupe de gens
de lettres qui prend le nom de Brigade, et qui sera rebaptisé Pléiade en 1553, groupe de poètes
pour lequel Du Bellay rédigea un manifeste en 1549, « Défense et illustration de la langue française »,
avec l'arrivée de quatre nouveaux membres : Rémi Belleau, Etienne Jodelle, Pontus de Tyard et Jean-Antoine de Baïf.
Le groupe se donne pour mission de définir de nouvelles règles poétiques:
Il y prône l'usage du français en poésie, contre celui du latin, jusqu'alors quasi-exclusif.
Le projet de Joachim Du Bellay est de rendre la langue française moins « barbare et vulgaire » en l'enrichissant avec
ses amis de la Pléiade.
Il souhaite également re-populariser les genres poétiques utilisés pendant l'antiquité : élégie, sonnet, tragédie ...
Joachim est aussi, à cette période, devenu chanoine de Notre-Dame de Paris,
ce qui n'entrave en rien son rythme de vie mondain.
On le surnomme l'Ovide français.
Leur objectif est de créer des chefs-d'oeuvre en français d'aussi bonne facture que ceux des Latins et des Grecs.
Son premier Recueil
Joachim Du Bellay publie dès l'année suivante, son premier recueil de sonnets, L'Olive, en 1549, imitant le style de l'italien Pétrarque.
Il découvre les auteurs de l'Antiquité grecque et romaine et compose alors ses premiers poèmes.
Il écrit d'abord des sonnets amoureux en décasyllabe comme dans l'Olive .
Du Bellay choisit ensuite d'opter pour l'alexandrin, forme avec laquelle il signe son plus grand succès : Les Regrets en 1558.
Ce recueil de sonnets, écrit pendant un exil de quatre années à Rome, exprime sa nostalgie de la France mais également les doutes et aspirations du poète.
En 1553 Du Bellay quitte la France pour accompagner le cardinal Jean Du Bellay, un cousin de son père, à la cour pontificale de Rome.
Il doit pourvoir aux dépenses de la maison du cardinal malgré son peu de moyens financiers.
Il attend avec impatience de découvrir Rome et la culture antique mais il est déçu.
En charge de l'intendance de son parent, Du Bellay s'ennuie.
Loin de jouir d'une liberté qu'il désirait, les intrigues de la cour du pape l'accaparent.
Il compose alors Les Regrets, son oeuvre la plus célèbre, qui est un recueil de sonnets d'inspiration élégiaque et satirique, écrit à l'occasion de son voyage à Rome de 1553 à 1557,
et dans laquelle il critique la vie romaine et exprime son envie de rejoindre son Anjou natal.
Suivent Les Antiquités de Rome.
Le séjour en Italie:
Le séjour en Italie va bouleverser la vie de Joachim en lui offrant des responsabilités, des facilités de vie, des contacts internationaux, ainsi qu'une autre vue de l'histoire, du monde et du destin.
Il ne faut surtout pas se fier aux propos de ce perpétuel anxieux qu'est l'auteur des Regrets, toujours prêt à se croire frustré, rabaissé.
Il a réussi à faire croire à ses biographes qu'il n'avait été à Rome qu'un malheureux secrétaire accablé de travaux, avant de revenir
aussi pauvre qu'il était parti, alors que ses bénéfices ecclésiastiques
(reçus grâce au cardinal Du Bellay) lui permettront de vivre très honorablement à Paris
les dernières années de sa courte vie.
Et à Rome même, dans la maison du cardinal, il y a bien des secrétaires, mais sous ses ordres.
Quant à Joachim, il est une manière de chef de cabinet du personnage le plus important de Rome après le pape, puisque Jean du Bellay est doyen du Sacré Collège, et que les actes notariés intitulent le poète « procureur et vicaire général tant en spirituel qu'en temporel » du doyen du Sacré Collège. Il a la haute main sur une maison de cent huit personnes et trente-sept chevaux, sur la gestion des finances du cardinal, sur les rentrées de ses revenus français, sur la préparation des dossiers de consistoires. Il s'est plaint de tout ce travail, mais le régime ne lui a pas mal réussi puisqu'il n'a jamais autant ni mieux écrit que pendant ces quatre années d'exil.
Ces quatre années lui permettent de découvrir la ville, écrit Les Antiquités de Rome, mais finit par développer un véritable dégoût pour la ville qui n'est plus faite que de ruines, selon lui.
Or le poète a tellement rêvé et magnifié Rome que c'est une véritable déception pour lui.
Une santé fragile:
De 1553 à 1557, Du Bellay voit sa santé se dégrader, mais il devient quand même secrétaire du cardinal Jean du Bellay, à Rome, son oncle étant un diplomate important.
En août 1557 Joachim tombe malade et le cardinal Jean Du Bellay le renvoie en France.
Le poète loge au cloître Notre-Dame chez son ami Claude de Bize.
Son ouvrage est publié à Paris en 1558, ainsi que Divers Jeux rustiques et Les Regrets, qui comportent notamment le célèbre sonnet « Heureux qui comme Ulysse ».
Ces publications assurent une notoriété certaine à Du Bellay. Il s'inscrit toujours plus dans les cercles intellectuels de Paris.
Rapidement toutefois, des ennemis anonymes lancent contre lui des accusations d'irréligion, et son avancement s'en trouve fortement compromis.
Par conséquent, cela impacte directement sa santé qui se dégrade.
Son hypocondrie naturelle s'aigrit. Ses relations, déjà difficiles, avec son cousin ennemi qu'il est chargé de contrôler, l'évêque de Paris Eustache du Bellay, deviennent exécrables.
La surdité totale qui s'abat sur lui le condamne à ne plus communiquer que par écrit, le privant ainsi de ce qui avait été sa consolation à son retour de Rome, l'intimité de son grand ami Jean de Morel, et autour de lui celle de sa famille, de son cénacle de lettrés.
Reclu dans la maison du cloître Notre-Dame, Du Bellay écrit son « Deuxième Hymne chrétien », paraphrase de l'Oratio deprecatoria de Pic de la Mirandole ; les Xenia, badinages étymologiques sur les noms de famille de ses amis.
Et, surtout, il s'avance dans l'arène politique. Au moment où la mort de Henri II remet tout en cause, il va paraphraser en alexandrins les manifestes politiques latins de Michel de L'Hospital sous les titres de « Discours sur le Sacré » et de « Ample Discours au roy ».
A l'heure où les candidats au pouvoir cherchent à se placer, Joachim a opté pour le candidat du parti gallican modéré, qui est d'ailleurs le parti du clan Du Bellay unanime.
Désormais malade, affaibli et sourd, Joachim du Bellay décède sur sa table de travail durant la nuit du 11er janvier 1560, , à l'âge de 37 ans..
C'est l'année même de la mort de Du Bellay que parut la première édition des Å’uvres complètes de Ronsard.
Regards sur son oeuvre:
Joachim du Bellay n'a jamais eu à subir, comme Ronsard et Villon, un purgatoire de trois siècles avant d'être réhabilité en grande pompe.
Il n'a jamais tout à fait cessé d'avoir des lecteurs, même à l'époque où tout ce qui était antérieur à Malherbe paraissait a priori suspect aux gens de goût.
Mais on peut se demander s'il a été servi ou desservi par ce privilège insolite.
Car l'absence de contestation a eu un résultat prévisible : l'image de Du Bellay n'a pas varié au cours des siècles.
Faute de remise en question, elle s'est cristallisée autour d'une sorte de canon établi dès la fin du XVIème siècle, et qui implique une hiérarchie de valeurs pour le moins contestable.
Les Regrets ont été mis en pleine lumière, et à l'intérieur des Regrets tout ce qui relève du descriptif, du pittoresque.
Les Antiquités de Rome ont été reléguées au second plan, réduites au rôle de corridor ou de voie d'accès à un édifice plus noble et là encore la critique du XIXème et de la première moitié du XXème siècle a opéré une sélection au profit des sonnets descriptifs ou rhétoriques et au détriment de ceux qui ont une beauté moins voyante.
Quant à l'admirable séquence du Songe, avec son arrière-plan d'Apocalypse, elle a été mise entre parenthèses.
En sorte que Du Bellay, amputé de tout ce qui évoque le néo-platonisme, la poésie métaphysique, la Bible, l'hermétisme, réduit à un format scolaire, est devenu un auteur sans problèmes, un prototype de la clarté française, admiré pour ses qualités d'élégance et la simplicité linéaire de ses contours, dans un siècle de poésie obscure.
Situer Du Bellay parmi les contemporains pose aussi des problèmes, car on ne saurait le limiter au statut de brillant second.
Et, pourtant, ce n'est pas sans raison que l'ordre des armées distingue habituellement le chef et le porte-drapeau.
Au milieu de la « Brigade » que Ronsard a mise sur orbite, il n'y a qu'un seul chef, Ronsard lui-même, qui s'impose par sa puissance créatrice, l'abondance de ses dons, sa confiance en lui, son habileté de carriériste.
Mais il y a aussi consensus, chez les contemporains, sur l'attribution du rôle de porte-drapeau au rédacteur du manifeste que fut la Deffence et illustration de la langue françoyse.
Parmi tous ces jeunes gens en pleine effervescence mais pas encore confirmés, Joachim était le seul à avoir une solide formation juridique ; il était aussi le meilleur manipulateur d'idées et le polémiste le plus efficace.
Surtout, il était le seul à porter un grand nom, au moment où ses cousins, illustres, les frères Du Bellay, jouissaient de la plus grande faveur.
Aucun d'eux n'était indifférent : Le cardinal Jean, diplomate de première importance et lieutenant général préposé à la défense du Nord en 1536 ; René, évêque du Mans, mécène lui aussi, bien que sur un moindre train, protecteur de Peletier du Mans et, par là même, intermédiaire entre Joachim, Peletier et Ronsard .
Martin, le plus jeune, continuateur des Mémoires commencées par son illustre aîné, Guillaume seigneur de Langey, qui a été peut-être le plus grand homme d'état français du XVIème siècle, le plus efficace et le plus intègre.
Suprême habileté : La publication simultanée de la Deffence et du recueil de sonnets de L'Olive permettait d'offrir au public la doctrine avec la mise en oeuvre, et quelques mois plus tard les Odes de Ronsard portaient au comble cette démonstration du mouvement par la marche.
On ne pourra plus, désormais, refuser à la langue française l'aptitude à se prêter aux grands sujets et au grand style.
Avec L'Olive, Joachim du Bellay dote la littérature française de son premier recueil de sonnets, un recueil dont l'inspiration n'est pas seulement amoureuse mais aussi métaphysique, et parfois mystique.
A tout moment, le jeu des métaphores et des analogies met en branle les mythes d'Hésiode, plus particulièrement celui de la création du monde par l'Amour, « le premier-né des dieux », fécondant le Chaos.
L'accouplement d'Eros et du Chaos est invoqué successivement pour figurer la genèse de l'Univers, le modelage de la personnalité adulte que l'amour fait sortir de l'enfance, la naissance de l'ordre et de la paix après la guerre, ou la création de l'artiste.
A ce mouvement descendant de l'esprit vers la matière correspondent, en sens inverse, les tropismes de l'Âme incarnée, nostalgique de son lieu d'origine, toujours à la recherche d'une issue hors de soi, et d'une quête de l'Idée platonicienne dont la beauté des créatures terrestres n'est que l'ombre portée : Là , à mon âme, au plus haut ciel guidée Tu y pourras reconnaître l'Idée De la beauté qu'en ce monde j'adore (Olive, 113).
Ici, comme dans tout le recueil, Du Bellay suit le sillage de Marsile Ficin, le néo-platonicien italien dont les traités et les traductions de Platon, fortement interprétées, faisaient autorité.
Les amants, écrivait le Florentin, « ignorent ce qu'ils désirent ou ce qu'ils cherchent, car ils ne savent pas ce qu'est Dieu, dont la saveur cachée a répandu dans ses oeuvres un parfum très doux.
Nous sentons l'odeur mais nous ignorons absolument la saveur ».
Bien que Du Bellay soit toujours resté pour ses contemporains le poète de L'Olive, les Regrets doivent à leur facilité de lecture et à leur style décontracté d'avoir conservé une popularité plus longue et plus étendue.
Ils ont donné à Joachim l'exutoire qui manquait à ses dons de polémiste décapant, que la Deffence et la préface goguenarde de L'Olive n'avaient pas épuisés.
Il pourra disposer désormais d'un champ d'opérations plus vaste et de cibles plus pittoresques. On est stupéfait de la fécondité de Joachim pendant les dix-huit mois qui séparent son retour à Paris de sa mort.
Il trouve le temps d'achever la séquence finale des Regrets, de faire paraître ce recueil, les Antiquitez de Rome, ainsi que les Poemata et les Divers Jeux rustiques, divertissement de l'exil romain.
Il réunit aussi les sonnets des Amours où l'on trouve des compositions très récentes qui révèlent un Joachim à la fin de sa vie anéanti par la maladie à moins de trente-sept ans, isolé du monde par la surdité, et qui se compare à un cadavre, une statue, un glaçon, un roc, à : ... une froide image Errant au fond des éternelles nuits.