Paul Éluard (1895 - 1952) - Médieuses, 1939

Où es-tu ? Me vois-tu ? m'entends-tu ...

Où es-tu ? Me vois-tu ? M’entends-tu ?
Me reconnaîtras-tu ?
Moi la plus belle moi la seule
Je tiens le flot de la rivière comme un violon.
Je laisse passer les jours.
Je laisse passer les bateaux les nuages.
L’ennui est mort près de moi.
Je tiens tous les échos d’enfance mes trésors.
Avec des rires dans mon cou.

Mon paysage est un bien grand bonheur.
Et mon visage un limpide univers.
Ailleurs on pleure des larmes noires.
On va de caverne en caverne.
Ici on ne peut pas se perdre.
Et mon visage est dans l’eau pure je le vois.
Chanter un seul arbre,
Adoucir des cailloux,
Refléter l’horizon.
Je m’appuie contre l’arbre.
Couche sur les cailloux.
Sur l’eau j’applaudis le soleil la pluie
Et le vent sérieux

Où es-tu ? Me vois-tu ? M’entends-tu ?
Je suis la créature de derrière le rideau.
De derrière le premier rideau venu.
Maîtresse des verdures malgré tout.
Et des plantes de rien.
Maîtresse de l’eau maîtresse de l’air.
Je domine ma solitude.
Où es-tu ?
À force de rêver de moi le long des murs.
Tu me vois tu m’entends.
Et tu voudrais changer mon cœur.
M’arracher au sein de mes yeux.

J’ai le pouvoir d’exister sans destin.
Entre givre et rosée entre oubli et présence.

Fraîcheur chaleur je n’en ai pas souci.
Je ferai s’éloigner à travers tes désirs.
L’image de moi-même que tu m’offres.
Mon visage n’a qu’une étoile.

Il faut céder m’aimer en vain.
Je suis éclipse rêve de nuit.
Oublie mes rideaux de cristal.

Je reste dans mes propres feuilles.
Je reste mon propre miroir.
Je mêle la neige et le feu.
Mes cailloux ont ma douceur.
Ma saison est éternelle.



Infos du livre audio - dit par Daniel Ivernel